Réciprocité

#NonReciproque

~

Elle enfonce ses clefs dans sa porte, rageusement.

La porte bascule avec brusquerie, et elle s'engouffre dans l'interstice.

Son sac de cours vient s'exploser avec fracas sur le sol, suivi de près par ses genoux. Elle ne sens presque pas la douleur remonter le long de ses cuisses, de son dos.

À trois, elle se relève.

1

Profonde inspiration, pour calmer les battements incontrôlables de son coeur, qui cognent contre sa poitrine.

2

Expiration. Ses poumons relâchent la pression accumulée.

3

Ses jambes flageollent un peu sous son poids, quand elle se redresse en prenant appui sur la petite chaise de bois.

Allez

Elle a un peu honte. D'avoir eu ces trois petites secondes d'humanité, de vie.

Ça fait des mois, des années ou des millénaires, qu'elle porte au dessus de son maquillage, un masque de glace et d'imibilité, qui étouffe sa respiration et ses sentiments.

Elle avance dans la cuisine délabrée, humide de sa chambre de CROUS. Ses parents lui payent une part de loyer, elle rembourse l'autre en travaillant le weekend. Ils sont si fiers d'eux.

Mais ils ignorent tout.

Quand ils viennent lui rendre visite, le dimanche, c'est la première chose qu'elle enfoui au fond d'un placard. Des petites boîtes de pilules. Du rouge, du bleu, du jaune. Plus ou moins légaux, qui la propulsent dans les bras d'une grande dame, qui vient l'emporter dans ses voyages oniriques. Elle sourit, les dents brillantes, sous la lumière jaunâtre des lampadaires.

Pour quelques instants, elle se sent libre. De ses choix, de ses rêves, de ses souvenirs qu'elle aimerait remodeler.

Pourtant, sa vie ne laisse pas beaucoup d'occasions au rêve.

Les journées de cours sont longues. Le regard perdu dans l'étendue froide du ciel, la tête dans les nuages, les mains dans les étoiles.

On ne le comprend pas toujours, autour d'elle.

Pas du tout.

Ils ont des regards brutaux.

Déchirants.

Des paroles honteuses, qui résonnent dans ses oreilles longtemps après le glas final de la journée. Des chuchotements et des échos qui perdent chaque jour un peu plus de sens.

Ils constellent sont corps pâle des couleurs de l'océan.

Elle n'a jamais su pourquoi. Un jour, brusquement, tout avait dérapé.

Quand sa torture commence, elle n'a plus qu'à se détacher de son corps. Elle s'imagine déjà loin, ramasser des fleurs, peut-être, dans les champs lointains de son enfance. Rêveuse, elle endosse la souf avec une béatitude presque effarante. Les coups pleuvent, comme une averse d'été sur sa peau de marbre.

Mais elle n'est déjà plus là.

Elle ramasse des fleurs.

Rouge sang.