Violon

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Violon

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Elle ne montre pas ses sentiments, pas facilement. Ma mère n’a jamais éprouvé le besoin de les montrer, je crois. Elle fait partie de ceux qui montrent leur amour plutôt que de le dire. Je dois avouer que j’aurais bien apprécié une part des deux. Enfin, de toute manière, elle ne le montre que très rarement, qu’elle m’aime. C’est possible que ce soit pour ça que j’ai été ce petit garçon intenable, celui qui crée des problèmes et des conflits. Ou bien peut-être que je me rappelle de moi ainsi parce que je m’imagine à travers les yeux de ma mère. Ce qu’elle voyait, ça devait être une déception, un manque à gagner, un idiot qui ne ferait jamais rien d’autre que de mendier une fois adulte. Elle n’hésitait pas à me le rappeler, d’ailleurs, presque à chaque souper.

Au début, ça me blessait beaucoup, mais avec le temps, j’ai fini par ignorer ses paroles. J’ignorais même sa présence. Sa présence m’est revenue comme une apparition fantomatique subite, à en faire frémir un mort, le jour où elle a découvert mon violon. C’était celui d’un ancien professeur à qui je l’empruntais sans le lui dire pour en jouer. Il trouvait que j’avais du talent. Il disait que je pourrais devenir quelqu’un si je persistais, mais qu’il fallait que j’en joue tous les jours. Alors, il me l’a offert.

Quand ma mère l’a découvert un matin, en nettoyant la maison, elle a décidé de le vendre. Cet argent, on en avait besoin pour un tas de raisons, des raisons qui n’étaient pas celles d’un enfant. Je l’ai haïe longtemps pour cet affront. Ce violon représentait l’espoir que je sois un jour celui qu’elle n’imaginait pas que je serais : un homme avec un talent, un don inné, dans le domaine des riches, de la noble musique. En vendant ce violon, elle me vendait, moi. Elle vendait mon talent pour une poignée de pécules.

Alors, un jour, quand j’en ai eu l’âge, je suis parti de chez elle sans me retourner et sans jamais plus la revoir. Des années ont é et, aujourd’hui, la trentaine atteinte, je suis un violoniste renommé, la gloire à mes genoux. Mais, après ce concerto, une nouvelle m’a été transmise dans le creux de mon oreille : ma mère est décédée ce matin même. Je ne sais guère trop quoi penser. C’était une horrible femme, c’est vrai, mais c’était ma mère tout de même.

L’envie de revoir là où j’ai grandi, revoir les rues, la ville de mes souvenirs enfouis et incertains avec l’âge, a surgi. Le trajet me semble long, bien que tout au long, des souvenirs remontent à ma mémoire. La maison n’a pas trop changé, poussiéreuse et lugubre. Ma chambre est restée inchangée depuis mon départ, comme si cette pièce n’avait pas subi le temps.

Je m’écroule à genoux au sol lorsque je le vois là, sur mon lit : le violon de mon enfance. Un mot figure dessus, écrit de la main de ma mère. Elle ne l’a jamais vendu. Elle était simplement jalouse que j’aie un talent alors qu’elle, non. Elle avait peur que je sois moqué parce que je ne venais pas du même monde que ceux qui jouent de cet instrument. Le jour de mon départ, elle voulait tout m’avouer, mais je n’étais plus là. Elle s’était résignée, en espérant qu’un jour je revienne.

Toute ma vie, j’ai cru qu’elle n’était qu’un tas de chair dénué de sentiments. J’ai eu la bêtise de penser qu’elle ne m’aimait pas et, pour cela, je l’ai haïe. Oui, je l’ai haïe depuis mes sept ans jusqu’à aujourd’hui. C’est en revenant dans cette misérable vieille bicoque poussiéreuse que je l’ai trouvé : le violon de mon enfance, celui qu’elle m’avait confisqué. Je l’ai haïe toute ma vie en croyant ce qu’elle m’avait dit, qu’elle l’avait vendu, que mon talent ne valait pas la peine d’être exploité.

Les larmes coulent, mais pas un son ne parvient à sortir, ma bouche pourtant mi-ouverte. Aucun son, mais toute l’émotion contenue à son égard durant toutes ces années s’en va, laissant place à un vide si terrifiant…

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:coffee: