Ses yeux noir corbeau...

Ses yeux noir corbeau...

Je m’en souviens très bien. C’était ma meilleure amie, peut-être même un peu plus. Je ne saurais pas vraiment comment définir cette relation, avec du recul, elle était bien plus toxique que ce que je pensais. On s’était déjà surprises à s’embrasser pour se lancer un défi, j’étais naïve. Je sais qu’elle faisait ça avec tout le monde. Son nom était Manon. Je m’en souviendrais toujours.

Jamais je ne pourrais oublier ce soir-là. On sortait de boîte, une soirée un peu arrosée, dans mes souvenirs. Il pleuvait des cordes, c’était le déluge. On était dans la rue, une odeur d’alcool dans l’air, mélangé à de la cigarette, et autres trucs à fumer, ça me piquait le nez. Elle et moi, on est arrivée à se regarder, droit dans les yeux. Son regard plongeait dans le mien. J’étais énervée, jalouse de l’importance qu’elle accordait à ses autres amies, alors qu’elle me délaissait. On était dans une période où on voulait tous un peu changer d’air, changer de quotidien, mais moi je n’acceptais pas de la perdre comme ça après tout ce qu’on avait pu vivre.

Je ne pouvais pas dire un mot. J’étais complétement pétrifiée, je ne savais pas comment lui dire. Ce que je voulais lui dire me brûlait les lèvres, dans ma tête c’était une catastrophe, tout s’emmêlait, les souvenirs heureux, trahisons, conséquences de mes actes…

Elle en a eu marre d’attendre. Je voulais qu’elle reste, pour lui dire un truc important. J’étais au bord des larmes. Elle m’a tourné le dos, en soupirant. Je lui ai dit, fermement :

« Attends. »

Elle s’est retournée vers moi. Le regard noir, amplifié par ses yeux, par sa colère, aussi. Elle détestait perdre son temps, elle était toujours occupée. Je la trouvais tellement belle. Visage fin, nez aquilin.

Même sous la pluie. Ses cheveux noirs de jais, d’habitude lisses, commençaient à friser, je trouvais ça mignon, on aurait dit un mouton. Je pouvais voir mon reflet, flouté par les gouttes de pluie dans ses iris, comme si un rideau d’eau me séparait d’elle.

Son regard était à la fois intéressé, poignant et profond, dans l’attente d’une révélation, peut-être, mais je voyais aussi une lueur d’incompréhension dans ses yeux. Elle prit la parole, avec le même schéma habituel d’expressions du visage, elle fronce les sourcils, penche un peu la tête vers la gauche, comme pour dire qu’elle ne comprend pas, et ses yeux s’agrandissent :

« Allez, accouche, tu veux me dire quoi, on s’ennuie là, moi je dois rentrer, dépêche. »

J’ai trouvé ça froid. Comme mes mains, glacées. Comme son cœur, givré. Impossible de l’atteindre, une couche de glace le recouvre. Elle ne le montrait jamais. Ça m’a rendue encore plus en colère, cette réponse. J’ai fini par me rapprocher d’elle, d’un pas, puis deux, puis trois. J’ai rétorqué, en bégayant à moitié, tellement j’étais émue :

« T-tu sais. J’en ai marre… »

Elle ne me laissa pas le temps de finir :

« De quoi ? Tu sais que je n’aime pas entendre des plaintes qui ne sont pas fondées, tu me fais attendre pour ça, depuis tout à l’heure, vraiment ? »

-    Attends… Je… J’en ai juste marre de toi. De ce que tu fais. De tes actes. Tu me pourris la vie. Je veux respirer, tu m’étouffes, je pense trop à toi. Je veux que ça redevienne comme avant. Comme il y a cinq ans, quand on s’est rencontrées. Je t’aime. Mais je dois partir.

-    C’est plutôt toi qui m’étouffes, laisse-moi vivre ma vie aussi, tourne la page ma fille, je l’ai fait il y a bien longtemps ça. Moi aussi je pense aux choses qu’on a faites avant, mais je suis ée à autre chose, j’ai des nouvelles personnes dans ma vie, et ça depuis plus d’un an.

-    Mais…

Je ne pouvais plus rien dire encore, j’étais pétrifiée. J’avais tellement de choses à lui avouer, tellement que je ne savais pas par où commencer. M’exc ? Partir ? Pleurer ? Lui sauter au cou ? L’embrasser ? J’ai continué de la regarder, des larmes chaudes coulant sur mes joues, mon regard obstrué par le surplus de larmes.

J’avais la gorge serrée, complétement incapable de parler. J’ai essuyé mes yeux, resserré ma queue de cheval. Mon choix était pris. Je n’ai su dire qu’une chose, avec amertume et remords :

« Adieu. »

J’ai tourné les talons. Elle m’a répondu :

« Dégage. »

Elle a dit ça avec du dégoût. Du vrai.

Mais pour moi, c’était un nouveau départ, je ne me suis pas retournée. J’ai fait le chemin le plus long de ma vie, dans les mêmes ruelles sombres, avec les mêmes odeurs, avec la même pluie, la même envie de vomir à cause de ces foutus verres du soir, et la même envie de pleurer, de complétement craquer. Je suis finalement rentrée chez moi. J’ai ouvert la porte.

J’ai déchiré tous mes souvenirs d'elle. Cinq ans de ma vie effacés, partis en fumée. J’ai fait n’importe quoi. Toutes les photos sont parties en cendres. Je les ai regardées se consumer dans le feu de cheminée. Je voyais son visage brûler, dans les flammes. Il ne restait plus rien.

Elle a tenté de me renvoyer des messages. De m’appeler. De s’exc. Je l’ai ignorée. Jusqu’à la fois où elle s’est rendue chez moi. Elle a toqué, naïvement j’ai ouvert. Pour la première fois, je l’ai vue pleurer devant moi. Elle s’est avancée sur le paillasson « Bienvenue », elle a ouvert ses bras, et je l’ai repoussée. J’ai refusé son câlin. J’étais à deux doigts de lui claquer la porte au visage, jusqu’à ce qu’elle me hurle, d’une voix complétement déchirée, d’une voix encore mélangée à ses pleurs :

« Andréa. C’est ce que tu voulais. Pourquoi tu gâches tout encore ?! Je voulais renouer avec toi, pourquoi… »

-    Manon. J’ai fait un choix. Je t’ai dit adieu. Je ne veux plus te voir. Bientôt, je déménage. Pour la dernière fois, adieu. »

Je ne lui ai même pas laissé le temps de répondre. J’ai fermé lentement la porte. Je voyais son visage se décomposer, et ses larmes couler. Je me suis empressée de fermer la porte à double tour, car je savais qu’elle allait vouloir rentrer. Je l’ai entendue, pendant des heures, cogner à la porte, avec une violence et une régularité inouïe. Le bruit de son poing contre la porte résonnait dans toute la cage d'escalier. Plus le temps ait, plus ses coups s’affaiblissaient. J’ai fini par ne plus rien entendre, le soir venu.

Je me suis approchée de la porte et j’ai regardé par le judas. Elle avait abandonné, elle s’était endormie sur le palier.

Peu de temps après, j'ai entendu la police débarquer dans l’immeuble, les voisins avaient appelés, ils ont sûrement essayé de la dégager du palier, et l'ont prise pour une folle dangereuse. J’ai ouvert ma porte, la police l’avait interpellée. Elle ne voulait pas bouger, son regard était livide, elle me fixait. Ils ont commencé à la prendre par les bras et la soulever, elle daignait à avancer, et persistait à me regarder, de ses yeux noirs d'encre.

Je ne voulais plus assister à ce spectacle, alors j’ai claqué ma porte, je l’ai verrouillée, et le lendemain j’ai déménagé, loin d’elle et de tous ses amis.

Ça m’a fait un bien fou. J’ai réussi à tourner la page. C’était enfin un nouveau départ, même si ça m’a brisée au début. Je peux encore voir son regard, encore entendre ses mots, comme si c’était hier. Maintenant je suis en parfaite santé, j’ai des relations.

Aujourd’hui elle continue de m’envoyer des messages. Je ne lui ai pas répondu une seule fois, car si je le fais, je sais que je tends une jambe où elle commencera à s’agripper, et que ça va recommencer.

Voilà ! Merci d'avoir lu jusqu'ici, ce texte est donc ma participation au #challenge7 !

N'hésitez pas à donner votre avis !

:snowflake: Lanra :snowflake: