![Le Pacte - Partie 2-[IMG=DVJ]
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- Alors, tu n’es pas trop stressée ?
- Pas spécialement.
Je piétine dans les coulisses de l’auditorium, mon violon sous le bras.
- On ne dirait pas, insiste Line et son sourire compatissant.
- Je suis bien obligée de faire avec, répondis-je pour mettre fin à ses inquisitions.
Line s’assoit dans un fauteuil, une tresse noue ses cheveux. Elle griffonne sur ses partitions.
- Qu’est-ce que tu fais ? je demande, agacée de la voir si à l’aise.
- J’ai composé un petit morceau. J’espère que je pourrais le jouer un jour, mais c’est un peu gênant.
Elle sourit légèrement et sort de son sac une boite de gâteaux.
- Ce n’est qu’une petite audition de milieu d’année, c’est ce qu’il faut se dire, continue-t-elle en me tendant un cookie.
- Je sais bien.
Grains de sucres et pépites de chocolat se délitent contre ma langue. Je déglutis difficilement. J’ai peur. J’ai peur de jouer ce soir. Parce que je joue après elle.
Lorsque que mon archet s’approche des cordes, j’ai la pupille saturée de lumière si bien que mes yeux aveugles ne peuvent qu’imaginer les silhouettes ennuyées qui peuplent les rangs de l’auditorium.
Le son de mon violon monte dans la salle en tremblant. Pâle, faible, malade comme un vieillard qui se traîne dans la rue un soir d’hiver. Je repense à la sereine joie qui peignait les joues de Line en rose juste après sa prestation. Mon majeur se pose un demi-millimètre trop haut, ça sonne horriblement faux. Une glissade non maîtrisée. Aux moments rapides, mon archet s’empâte dans un gribouillage sonore gênant.
Je veux que ça finisse. Ça finit. Je salue sous de froids applaudissements. Je res les coulisses. Mes joues aussi sont roses, mais de honte. Je n’écoute personne, remballe mon violon et m’enfuis de cette soirée maudite.
………….
Ce matin, sur la route du lycée, Line s’est retournée et a franchi les dix mètres qui nous séparent.
- Tu n’es pas restée hier soir, c’est dommage, regrette-t-elle.
- Je n’en avais pas trop envie. C’était très beau ce que tu as joué hier, j’ajoute par habitude.
- Merci, sourit-elle.
- Moi, j’ai fait de la merde comme d’habitude.
J’ignore pourquoi je me confie à elle. Nous ne sommes pas amies. Camarades d’école et de conservatoire tout au plus.
- Mais bien-sûr que non, ce n’était pas si mal que ça.
- J’étais fausse pendant toute la dernière partie.
- C’est parce que c’est une partition très compliquée. Je l’avais jouée il y a deux ans. Ça m’avait aussi donnée du fil à retordre, crois-moi !
- …
- Tu prends toujours cette route ? C’est la première fois que je te vois pourtant.
Line, du haut de ta tour de perfection, tu distribues ta bonté aux médiocres existences, aux vies insipides, aux filles mal dégrossies telles que moi. Si j’avais le courage d’être méchante avec toi, je te dirai que je n’en veux pas. Que les dix mètres du matin entre toi et moi, je les ai mis à dessein. Pour que jamais je n’ai à marcher à tes côtés et à constater notre différence.
Et tes cheveux qui flamboient contre tes épaules, ils me brûlent, ils sont trop beaux, ils sont trop rouges, ils me font mal et chaque matin, de douleur, je veux hurler.
Je voudrais te dire ça.
Il y a le violon, aussi. L’étui immaculé. Je comprends que tu le portes contre ta poitrine parce que tu l’aimes profondément. Et l’ardeur de ton amour me rappelle la tiédeur du mien.
Je voudrais te dire ça.
Et les cours. Je ne sais pourquoi je m’inflige la torture de te regarder. Ces yeux que tu promènes, curieux, sur le savoir, les miens, ils y restent imperméables et sots. Parfois, plutôt que d’essayer de déchiffrer la leçon, j’essaye de percer le secret de ta gloire sans jamais y rien comprendre.
Je voudrais te dire ça.
Et les autres, je voudrais qu’ils m’irent. Toi, tu ne les remarques même pas. Le garçon à la table derrière toi, j’aimerais que son regard hésite entre ma nuque et mon dos, et qu’il me désire au lieu de te désirer. Et les professeurs de musique et du lycée, qui m’accablent d’indifférence et te comblent d’attention...
Tu vois Line. Je ne veux plus que tu me parles car je suis une voleuse. Si je le pouvais, sans hésiter, je déroberais les fruits de ta gloire et me les approprierais. Je m’accaparerai toute ta beauté et ton esprit, je m’en ferais une cape avec laquelle je me déguiserais, et toi, je te voudrais dépouillée et inoffensive à mon ascension.
Voilà ce que je voudrais te dire. Mais je ne dis rien. Je réponds simplement : « Oui, je e toujours par là, chaque matin. »
………….
Dix-sept heures expire dans les braises du soleil en déclin.
Je porte mon ennui sur le dos depuis huit heures au matin, je le pousse à bout de bras et il me pèse affreusement. La professeur d’histoire balade ses yeux le long des élèves et croit saisir, dans les visages tendus vers elle, des marques d’attention. Un instant, elle me fixe et je devine la trajectoire de son regard qui e au travers moi pour divaguer contre le mur du fond. Il semble donc que nous voulions tous en finir avec cette journée.
Je m’ennuie plus qu’à l’ordinaire car j’ai renoncé à épier Line. Depuis son intrusion matinale, je me sens trop gênée pour y risquer un coup d’œil. Comme si elle savait mes pensées tournées vers elle, elle se retourne vers moi et m’adresse un sourire. Line est gentille. Et moi, il faut que j’arrête. Il faut bien un jour que je l’oublie et que je vive et que je m’aime un peu sans la détester elle. Ces sages préceptes allègent mes pas lorsqu’à dix-huit heures, je rentre chez moi.
Illustration : Peony Yip
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